Point virgule

Il est le point. Elle s’amuse la virgule. Elle tortille, elle ponctue, elle respire.
Elle prolonge le propos, le point y met un terme.
Une nouvelle phrase reprend.
L’élan est vif, les consonnes hautes se dressent comme des périscopes. Elles voient loin, elles racontent les perspectives, ces h, b, d, campées sur leurs verticalités. Elles ont un mat, qui va chercher des hauteurs de grande prétention, des espoirs vertigineux, des sommets de la peur, des altitudes clairvoyantes. h, b, d peuvent se permettre toutes les folies culminantes quand on voit la solidité de leurs bases. Ces ventres généreux, plantés au sud, à l’est et à l’ouest pour que soit maintenu le cap au nord.
Puis, la virgule revient, inclinaison au rythme, elle recule le moment du point définitif. Tantôt maigre, tantôt rondelette, elle invite la suite, et les mots en profitent pour occuper la page. Ils s’étalent et parfois assiègent des paragraphes entiers. Il est des auteurs amoureux de ce signe furtif, d’autres préfèrent la phrase courte où seul le point décide.

Les lettres forment des mots, des sens et des sons. Les lettres sont d’abord des personnages et sont les premiers héros de toutes nos histoires.

A la ligne, seule une capitale autorise le commencement. Depuis tout ce temps d’ordre établi, de règles perpétuées, on n’a jamais vu les minuscules se rebeller contre les majuscules. Comme c’est étrange ce monde de petits personnages disciplinés. Les lettres jouent à la chaise musicale, aucune d’entre elles ne peut en être exclue, chacune sait qu’elle occupera la première place qui débute la phrase.
La lettre se moque du je, elle est le jeu.

Citons le s. voici la seule lettre qui oppose un rejet farouche au singulier. Prétention, orgueil, vanité, le s présente un tempérament esseulé, voire dépressif. Invité en solo dans un mot, il va développer immédiatement le syndrome du crochet de boucher – grimace, souffrance, désespoir. Le remède préconisé est de le défigurer en l’écrivant, jetant ainsi le doute sur la lettre employée. L’auteur, habitué très tôt à ne pas le décevoir, se prête sans vergogne, à ce massacre institué. En revanche, excellent joueur de double, le s est régulièrement sélectionné, offrant à son public des aces aux sonorités remarquables. Son ciel c’est le pluriel, son credo, son étendard mais ne lui faites pas l’affront d’écrire son ciel autrement qu’au singulier car c’est le x qu’il ira saccager. Et pour réparer le x, quelle histoire, l’y, aussi romantique soit-il, n’est pas le label que vous prétendez. A cet endroit précis, le point est entendu.
Il y aurait bien le t aux tendances caractérielles. Il en est des tempétueux, des mous, des longs, des courts, de tous les acabits. Le t ressemble à une poignée de mains, à la moiteur de l’anxieux, à la mollesse de mon psychanalyste, à l’écrasante des faux puissants, à la bienveillante de ma voisine. Il croit dire beaucoup avec sa barre plus ou moins affirmée mais il dira toujours beaucoup moins que les mots, les textes et l’œuvre qui font appel à lui.
Convenons que le t peut gifler, invectiver, s’absenter, s’imposer, mais quand on porte le signe de la croix, toutes les interprétations luis sont permises. Et pour ceux qui n’y croient pas, prions les autres lettres de connaître un meilleur sort.
Au hasard la seizième. Quand le p plonge sa jambe gauche au bas le page comme un spéléologue en quête d’aventure, c’est pour sommer le q d’entrer en scène, d’y déposer sa droite et de rétablir l’équilibre. On a tous assisté au spectacle de la jambe déhanchée du p, qui dévie sa trajectoire et perd tout contrôle en absence du q. D’autant que ce dernier ne jouxte jamais le p. Comme quoi l’exercice d’une stabilité sur deux jambes est une entreprise extrêmement difficile dans l’alphabet, sachant que le recours du fauteuil est définitivement proscrit.
Comment faire patienter ces paniques d’équilibristes. La voyelle déboule tranquillement ; elle tourneboule pour se déplacer et se pose là, débonnaire. Aux contours ronds, incurvés, bouclés ou flanqués d’un point potelé, la voyelle est de compagnie agréable. Avenante, caractère sociable, elle s’associe harmonieusement avec ses 25 comparses. Jamais de problème avec la voyelle. Avec ou sans consonne, elle est créative et compose de jolis mots, doux à l’oreille, savoureux à dire. La voyelle constitue une minorité dans l’alphabet, lui conférant une fonction éminente de nourricière. Ainsi, chaque consonne est élevée, dès son plus jeune âge, au a e i o u y, et reçoit une culture du eyaoui toute sa vie durant.
Une éducation qui a fait ses preuves depuis des millénaires et qui, malgré les plus belles contorsions de nos poètes, n’a pas inventé mieux.
Aucune interdiction pour autant n’est en vigueur, et libre à chaque faiseur de mots, de créer une autre partition.
















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Par erialc le 14.03.12

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