Monologues de migrateurs

Veronika Boutinova,
MONOLOGUES DE MIGRATEURS

Pièce lue le 16 juillet 2011 au cours du Festival d’Avignon, au conservatoire du Grand Avignon, lors de la manifestation «Quoi de neuf» organisée par les Ecrivains Associés de Théâtre.

Copyright © 2010 Veronika Boutinova
All performance rights, including professional, amateur, stock, motion picture, radio, television, recitation, public reading, etc. are strictly reserved. All inquiries should be addressed to the author's agent: SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), 11 bis, rue Ballu, 75009 Paris, France.


Terre et sable. Détritus divers épars. Un monticule de boue et feuilles au centre de la scène.
Des vêtements séchant pendent sur les arbres, tels des corps en fuite.
Au fond, les falaises d’Angleterre, the Shakespeare’s cliffs.
A jardin, une ligne de mer.
Devant, un migrant, totalement immobile, statufié, regarde fixement face à lui ; il tient dans une main, dont pas un muscle ne frémit, un parapluie à mouettes (une armature de parapluie des branches duquel pendent mouettes, algues, os de seiche, coquillages, sirènes et scaphandriers playmobil).



Migrant 1
Un homme sort de la mer, épuisé. Se lèche la peau de l’épaule.
Ma peau est sel.
Brûlé mon épiderme jusqu’en chair.
Comme un fish flotté dans la saumure, je suis de lèvres desséchées. Un rictus et je craquèle et crumble. Petites poussières en tas de rien à la fin. Pourtant heureux de…
Où est la retourneuse ?
Je look for un bateau, un radeau, un vélo, n’importe quoi pour m’en retourner mon inferno du quotidien des miens. Je viens je vais de là où je suis. Je suis bouche, assoiffée.
J’ai vu England, j’ai su… Plus. No more England never.
Où est la retourneuse ?
Elle will offer un avion agrémenté d’un paquet de money… Là-bas je nourrirai de peu mes child and my mother.
Je ne suis plus étanche à mes malheurs d’ici.
Je lâche les écailles, fuis les rivages de l’Europe guère propice. Ciao l’hiver le camping sauvage et l’aventure. J’ai vu la death de trop près dans les vagues of the english sea. J’ai plongé nagé ramé pour nothing. Va fanculo England ! Je te hais d’amour irréciproque.
Où est la retourneuse ?
Je brûle de piqûre iodée. My horse for a shower.
Où est la retourneuse ?
Se lèche la peau de l’autre épaule. Erre dans la djeungueul avant de s’asseoir, à cour.


Migrant 2
L’homme au parapluie immobile ne quitte pas la mer des yeux.
Je pus. Suis pus et croûtes.
Tu es pus. Plus que pustule. Pustules. Poux du pubis ; prurits de queue ; bêtes dans divers poils ; gale et chancres mûrs… érythème ; bubons soucieux ; infections délicieuses… purulences, tiques ou boutons croûteux…
Suis croûte de pus, pus en croûtes.

Me gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte encore et encore et encore toujours encore…….

Je dors dans les araignées et frôle les rats sur mon matelas, radeau de mousse dans dépotoirs : coquilles d’œufs, conserves en boîte, déjections humaines si proches… Concepts fétides. Tout pue et s’évapore, la terre ne reprend rien sans métamorphose… l’odeur rampe et m’immisce et se migre… d’où me gratte gratte gratte gratte gratte… mon corps fielleux et hypocrite…

Je marche sur fond de chaussures évanescentes aux ongles incarcérés dans une mousse de fleurs microscopiques souvent verdâtres… Me voûte et boîte. Rape ma peau sur sol caillouteux, mica insinueux dans plaies filtrées ou terre de précipitations engluée… Cloques, verrues, panaris sinueux… gratte gratte gratte gratte…
Je mange sur talus pluvieux, dans flaques de boue française et gaz automobiles voyeurs, parfois une neige sincère se dépose sur mes poumons de toux… Je crache et vomis une diarrhée de grumeaux du sang de mon pays d’origine. Gratte gratte gratte gratte mon estomac intestinal.

Je lave mon cul mon sexe mon torse mes jambes mon dos dans des canaux fluorescents d’eau chaude, d’eaux déversées d’usines frauduleuses à la santé de la planète et la mienne en pâtit et s’effare, affaissée : les infinies bestioles amibes microbes me savourent dedans, dehors ; me lèchent, déjà putréfié ; farfouillent et me franchissent mes pores de l’anus narines tympans orifices malfaisants… Je me gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte gratte et ne reconnais plus mon corps, jadis si glabre.


Migrant 3
Une forme humaine s’extirpe du monticule de feuilles et de boue.
Suis je de boue.
Allongé dessous le camion kkkkkk.
Scotché sur essieux. Ssss.
Mais j’ai les yeux ouvert. Bête grossière. No England today ! Yeux de blanc écarlates dans ma face effrayée… Voir… voir qui va découvrir mon corps peut-être avec sa torche lampe… ppppp. Non, fallu fermer yeux gardés. Je recommence. Demain dès un crépuscule. Ombre dans le noir et yeux fermés. Fermés fffff. Kilomètres après kilomètres immobile et yeux fermés jusque ferry. Asphalte sous moi. Très vite. Kilomètres de chatterton à m’arrimer mmmmm.
Très vite mais pas loin. Presque. Juste une cigarette à allumer, curieux, j’ai les yeux ouvert. Je suis vu vvvvvv.
L’air brisé, corps étranglé, danger le sol rapide dessous… rrrrr. Garder les yeux clore de la momie de boue. Paupières noircies de merde, cailloux qui giclent et piquent, du sang aussi entaillé.
Demain dès crépuscule encore…………


Migrante 4
Surgit du fond de la scène qu’elle longe en aller-retour une migrante, enceinte, un bébé dans les bras dans un sac, suivie d’une ribambelle de mômes.
Du lait. Du foutre. De l’eau. Et litanie.
De l’eau. Du lait. Du foutre. Une litanie…
Je ne suis plus qu’une outre liquide à outrance.
Mon sexe dégouline de sang séché, mes seins se gonflent du sperme des bâtards qui m’ont eue ; mon sexe devenu la clef de mon passage : une vingtaine de frontières à franchir, de ruts de bêtes à subir. Je porte avec moi, sur moi, en moi encore les enfants de ces multiples assauts ahanants… Me laver d’iode dans le Channel ne servirait jamais à récurer les résidus en utérus égratigné…
Elle regarde la mer haineusement.
Cette eau maudite qui barre ma route et mon but. J’ai franchi plusieurs sexes avec succès, j’en remercie ma bouche ; mais ici elle demeure stérile : me laisser baiser ne mène plus à rien. Je suis malgré moi mère et prisonnière… Toute cette eau, cette étendue d’eau à vomir, à nager, à aspirer…
Sursaut de douleur.
C’est l’heure de la marée. La mer monte et le lait. J’ai mal aux seins explosés d’eau par trop salée.
Liquide lacté et mer mêlées… J’ai engouffré dans les moutons d’écume mon dernier né ; dans un moise de plastique je l’ai jeté dans le ventre d’un semi-remorque de gargantua… Peut-être il pleure maintenant sur le pont de mer dans ce bateau-là flottant… ou peut-être invisible en un train il rampe dans le vagin de terre qui le fera naître à l’Angleterre… enfin un !
Elle se détourne de la mer.
Seins de sel trempés.
De l’eau, du foutre et du lait… Une litanie…
Va s’asseoir avec sa marmaille dans les détritus de la djeungueul, en son centre, près du monticule de boue et feuilles.


Migrant 5
Déboule les jambes serrées de cour. Cherche quelque temps les yeux au sol.
Où ?
Où ?
Où mèrder ?
C’est chacun jour une question même : tu t’ignores dans quelle place tu vas lâcher les fècès en expulsion hors de ton cul… Et encore réfléchir encore… Doulourer toujours ces excrémentations qui t’explosent en le ventre de fiel. Mais je ne vais pas là rester jusque la saison de mourir à me demander la question du où mèrder. A friper mes velues desquamées d’herbes ou d’eau salée… Marre !! mon arrière rougi de peau déliquescente préoccupe ma journée et nuit en affilée.

J’ai mal de merder sans arrêter en animal expatrié.
Dieu sait que partout pour ici arriver j’ai dû mèrder.
Il sort un rouleau de papier hygiénique de sa poche qu’il déroule, faisant mine de lire une liste infinie :
J’ai mèrdé en ville
J’ai mèrdé dans la mer
J’ai mèrdé sur Somalie, sur Ethiopie, sur sol d’Italie
J’ai mèrdé devant femmes, enfants et Polonais
J’ai mèrdé dans le monde en entier et je mèrde le monde entier.
Ahhhh, et puis mèrde !!!
Baisse son pantalon et face tournée vers la ligne d’eau chie sur le monticule, tête cachée dans les mains.
Je ne crie pas de douleur et de honte tues.
Je suis mèrde.
Je suis une mèrde.
Je ne suis que mèrde.
Il se relève et relève son pantalon qu’il tient d’une main, montrant la ligne d’eau de l’autre.
Jusque là-bas pagayer sur un radeau d’étrons solidifiés… England again and again… enfin pouvoir invité chier dans les anglaises w.c….
Va au bord de la ligne d’eau se nettoyer les fesses.
Pénètre en bord d’eau et avance dans la mer.

L’image figée demeure immobile quelques minutes.
Puis, lentement, plusieurs corps entrent dans la mer et sortent de la mer, quelques minutes durant.











Géographie finale :
Carte des humeurs



4.
Lait et foutre

2.
Pus 3.
Boue

Channel
1.
Sel

 5.
Mèrde








Note de l’auteur pour la mise en scène :
Il fut une époque où chaque migrant à Calais portait un sac Lidl, car c’est dans le magasin discount qui jouxtait le lieu de distribution de la nourriture que chacun achetait cocas et quatre-quarts. Dans la pièce, chaque migrant porte un sac Lidl qu’il utilise de manières diverses : la femme enceinte porte son bébé attaché dans un sac Lidl ; le monticule de boue peut être représentée par des dizaines de sacs Lidl ; le dernier personnage défèque dans un des sacs...













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Par Boutinova le 07.06.12

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